Le sentiment de solitude est le phénomène psychologique le plus fréquemment vécu par l’être humain aux différents âges de sa vie. Ce sentiment est souvent vécu comme un manque, un vide à combler, une souffrance. Selon une récente étude (sondage Opinion Way publiée par Books réalisé auprès d’un échantillon de 1.077 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, interrogées les 11 et 12 septembre 2012) plus de la moitié des Français (56 %) disent connaître des périodes de solitude et pour 73 %, ce sentiment est en progression. Le sentiment de solitude n’est donc pas le fait d’une minorité pessimiste et isolée, mais bien une expérience partagée par un nombre important et croissant de Français. Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les seniors les plus touché (46 % pour les 60 ans et plus), mais bien les jeunes : âgés de 18 à 24 ans (66 %). On peut donc s’interroger : Comment se fait-il qu’aux jours d’aujourd’hui le sentiment de solitude est en pleine croissance et touche de plus en plus les jeunes, alors que nous sommes devenus une société d’hyper-communication ? Comment se fait-il qu’on est le sentiment d’être seul alors qu’on est constamment entouré et connecté les uns aux autres via Internet, téléphones portables etc...?
Tout d’abord, qu’est-ce que la solitude ? D’après l’encyclopédie libre Wikipédia, la solitude est l’état ponctuel ou durable d’une personne qui cesse d’être reliée à ses semblables, ou qui a le sentiment de ne pas l’être - ce qui revient au même. Ensuite, il faut bien distinguer le sentiment de solitude (la solitude perçue, ressenti) de l’isolement social réel, effectivement les personnes qui se sentent seules ne sont pas nécessairement les plus isolées socialement. D’après une étude publiée en 2003 par l’Insee : moins d’un isolé sur deux éprouve de la solitude et sept personnes sur dix qui disent ressentir de la solitude ne vivent finalement pas seules. Le sentiment de solitude est donc hautement subjectif. Par ailleurs, la solitude, n’a pale même sens selon qu’elle soit choisie : une démarche intérieure voulue (par exemple: les artistes qui s’isole pour créer, les navigateurs, les sportifs seul face à leur performances…) ou bien subie (par exemple : le prisonnier enfermé contre son gré, l’enfant abandonné de ses parents…). Ainsi, l’état d’isolement ou d’éloignement peut avoir des effets à la fois bénéfiques ou négatifs. Pour certaines personnes, solitude est synonyme de sérénité et de maturité. Pour d’autres, de tristesse et d’abandon. Le sentiment d’être vide, de ne rien posséder, d’être extraordinairement incertain, sans racine nulle part. Mais d’où vient cette inégalité face à la capacité d’être seul ? Est-on prédisposé à ressentir ou non le sentiment de solitude ? Il est vrai que la capacité d’intériorisation diverge en fonction des individus et de leur personnalité. La santé joue également un rôle très important sur notre l’humeur, et donc sur notre sensation de rejet. De plus, d’après certains psychanalystes, les individus supportant mal la solitude auraient souffert de carences affectives précoces.
Aristote estime que l’Homme est un animal social. Son besoin de communiquer est fondamental, voir même nécessaire à son équilibre. Or, aux jours d'aujourd’hui nous assistons à une multiplication, pour ainsi dire infinie, des techniques et des sciences de la communication. Finalement, la simple communication entre individus n’y trouve pas sa place. La psychanalyste et psychiatre Marie-France Hirigoyen auteur de «les nouvelles solitudes» aux éditions La Découverte, c’est intéressée à cette question. Elle nous dit donc qu’à l’heure de la communication virtuelle instantanée, les individus semblent s’isoler toujours plus. Le virtuel nous donne l’illusion d’une proximité, d’une relation, mais il nous isole s’il ne laisse pas de place pour la vie réelle. Nous sommes dans une situation qui peut sembler paradoxale : d’une part, la présence collective envahit l’espace intérieur de l’individu (dans les lieux publics nous sommes constamment cerné par les autres, et submergé par les images et les sons) mais, d’autre part, nous souffrons de l’absence de communauté. Finalement on peut dire qu’on échange des informations mais pas des relations. D’après un autre philosophe Pierre-Henri Tavoillot, nous vivons dans une société d’individus où l’encadrement communautaire et institutionnel tend à s’effacer. Cela s’appelle «les Droits de l’homme» : il existe une sphère - la vie privée et intime - dans laquelle personne n’a le droit d’intervenir. Nous sommes donc libres, mais le prix à payer peut être lourd : nous sommes seuls ! Comme le disait Muriel Robin dans l’un de ses sketchs «j’ai une vie privée... privée de tout, c’est vrai, mais privée quand même !». Pour comparer, jetons un oeil en arrière, vers les sociétés traditionnelles où nous n’étions, pour ainsi dire, jamais seuls. Tout (même le plus intime) était sous le regard de la communauté. L’architecture de La Cour de Versaille par exemple, toutes les pièces ont plusieurs portes et on y circule sans arrêt impossible de s’isoler. L’intimité est donc une conquête récente et son autre face est la solitude. C’est la raison de ce paradoxe dans la société actuelle. D’un côté, nous aspirons à une solitude libérée de toutes contraintes, de l’autre, nous aspirons aux affinités, à l’amour, à l’amitié, à la passion. Peut-être comme jamais dans l’histoire de l’humanité. L’indépendance d’un côté, l’amour éternel de l’autre.
Les jeunes ont souvent une vie affective et relationnelle riche, mais ils restent très sensibles à la solitude. Effectivement, le sentiment de solitude est relatif au sentiment de pauvreté. On se sent d’autant plus pauvre que l’on côtoie des gens riches. Aujourd’hui, les jeunes cherchent à avoir toujours plus d’amis et pensent que leur valeur individuelle dépend de leur capital social, de leur notoriété. Du coup, ils ont tendance à dévaluer systématiquement leur propre vie sociale en la comparant à des idéaux très élevés. Les nouveaux moyens de communication peuvent être trompeurs. Ils donnent l’illusion à chacun qu’il est possible d’avoir accès à tout, tout le monde, partout et tout le temps. Mais, paradoxalement, ils peuvent aussi accentuer le sentiment d’isolement, surtout chez les personnes défavorisées ou mal socialisées qui ne possèdent pas toujours ces outils. Avoir la possibilité d’envoyer un message à Barack Obama comme à n’importe qui en France ne résout pas le problème de socialisation. Au contraire, cela rend ce décalage encore plus criant. Pour les populations les plus isolées ou les personnes âgées, Internet est à la fois une manière de ne pas se sentir trop seul, de partager des moments. Les nouvelles technologies jouent alors la fonction qui a longtemps été dédiée à la télévision que l’on allume pour avoir bruit de fond, et se sentir moins seul. La différence est qu’Internet offre la possibilité d’un partage, de naviguer en toute autonomie sur la toile, de changer de profil, de se perdre un peu plus parfois. Les jeunes d’aujourd’hui, ont grandi dans une société de loisirs et des nouvelles technologies qui leur ont montré un monde réel et virtuel sans limites. S’ils ont grandi avec les nouvelles technologies, ils en connaissent aussi les travers, ceux d’une société de la surexposition et de la surreprésentation. On se donne à voir sous notre meilleur angle, sans réellement révéler sa véritable identité.
Pour conclure, la solitude réelle ou ressentie naît de deux causes, ne pas se sentir entouré et/ou ne pas ressentir d’affinité avec son entourage. Aux jours d’aujourd’hui avec la crise et les pertes de repères, le sentiment de solitude apparaît comme d’autant plus présent. De plus, les nouvelles technologies offrent l’illusion d’une communication facile et illimitée. Les réseaux sociaux et les téléphones portables effacent les frontières du temps et de l’espace, nous avons donc plus facilement le sentiment d’être en lien perpétuel avec une communauté, un réseau d’amis. Or la réalité est tout autre, le virtuel nous donne l’illusion d’une proximité, d’une relation, mais il nous isole. Ne laissant pas de place pour la vraie vie. Ainsi, même si les jeunes cumulent plus d’une centaine d’amis sur Facebook, ils ressentent, tout comme beaucoup de Français, un fort sentiment de solitude.